Colloque organisé à Toulouse par l’Université Libre de la Connaissance et la Société Toulousaine de Philosophie
Vendredi 21 octobre 2022
Salon de Marvejol
47 Rue Pharaon, 31000 Toulouse
Contacts :
direction@universitelibreconnaissance.fr
Organisation :
Eric Coulon
Christian Loubère
Présentation
Nombreux sont ceux qui déplorent l’absence de construction européenne ou son effondrement. Non moins nombreux ceux qui souhaitent une Europe unie et forte capable de jouer un rôle conséquent sur la scène internationale. Les uns et les autres, en fonction de leur sensibilité, de leur histoire, de leur géographie, de leur vision du monde, de leur idéologie, voudraient la bâtir, selon les cas, sur un socle politique, économique ou social. Toutefois, au regard non seulement des ses multiples sources et influences, de sa longue histoire, de la diversité, de la complexité et de la portée de ses engagements, de la crise profonde qu’elle traverse mais aussi de son avenir, la question critique que nous sommes dès lors en droit de nous poser est de se demander si cet objectivisme, ce perspectivisme, cet activisme et ce pragmatisme sont à la hauteur de ce dont l’Europe est le nom propre, et si, finalement, par leur nature même, ils peuvent réellement répondre de/à l’enjeu dont elle est porteuse. Constituent-ils, au fond, la seule voie offerte aux hommes amoureux de l’Europe ?
Essayons de voir les choses autrement. Peut-être l’Europe est-elle avant tout plus une affaire de constitution que de construction, de visée que de fait, de conscience que de puissance, de sens que de circonstances, d’universalité que de relativisme, de dessein que de tactique, de fraternité que de coopération, d’éthique que de réalisme, de compréhension que de diplomatie, de communauté que de société, de raison que de calcul, d’intelligence que d’idéologies, d’idée et d’idéal que d’utilité et d’efficacité, d’esprit que de positivisme.
L’Europe se présente, selon nous, comme un problème autant pour la conscience (gnoséologique), de la conscience (phénoménologique) que de conscience (éthique). L’Europe fait en effet crucialement problème, cela s’impose à nous à la manière d’une intense évidence empirico-transcendantale exigeant de tous et de chacun éveil et lucidité, ouverture et rigueur, vigilance et intelligence, mesure et décision. L’ordre philosophique et spirituel, toujours à repenser et à redéfinir, ainsi que l’impératif théorético-pratique qui lui est consubstantiel doivent affronter non seulement le problème posé mais aussi la dominance partiale et aveugle des logiques techno-, géo-, économico- et socio-politique censées le résoudre. Assumer intégralement le premier, c’est immédiatement et conséquemment échapper au cercle vicieux des secondes et en même temps marquer leurs limites et leur impuissance.
Dans sa célèbre conférence intitulée La Crise de l’humanité européenne et la philosophie qu’il donna le 7 mai 1935, Husserl, s’intéressant au sens de la crise radicale que traverse l’Europe, en vient à attribuer à cette dernière la qualité de « figure spirituelle »1. Quel sens peut prendre une telle formule dans la pensée d’un aussi éminent défenseur de la raison ? Quels peuvent être par ailleurs, au-delà de Husserl, les caractéristiques possibles, la pertinence et la portée d’une telle formule appliquée à l’Europe ? Ne peut-elle constituer un guide heuristique permettant d’accéder à une meilleure clarification et compréhension de l’ampleur et de la profondeur de la crise toujours en cours ? Ne représente-t-elle pas aussi une piste importante ouverte en vue d’une possible résolution conséquente de celle-ci ?
Il nous semble que c’est à une telle figure, non plus historico-géographique, politico-économique ou socio-culturelle mais « spirituelle », ainsi qu’à la problématique qui lui est associée, notamment dans son rapport à la crise évoquée, que se sont référés aussi bien, en plus de Edmund Husserl, Jan Patočka, Georges Bernanos, Hermann von Keyserling, Ortega y Gasset, Leszek Kolakowski, Karl Jaspers ou Raymond Abellio…et bien d’autres philosophes ou même théologiens, artistes et hommes politiques. C’est en tout cas cette formule que nous souhaitons à notre tour nous approprier et assumer comme problème à penser et à vivre. Nous sommes convaincus qu’elle mérite toute notre attention, que nous lui accordions du temps et que nous fassions signe et sens à partir d’elle. C’est la raison pour laquelle nous avons pris l’initiative de mettre en place un moment et une expérience de rencontres, d’échanges, de réflexion, de débat et de méditation à elle consacrés. Les Rencontres que nous proposons se donnent ainsi pour objectif de desceller et d’exposer certaines des perspectives essentielles qu’elle contient.
1 « La crise de l’humanité européenne et la philosophie », Annexe III de La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, Paris, Gallimard, 1989, trad. fr. et préface de G. Granel, p. 352.